Le déterminisme scientifique
1 La démarche scientifique
La science est la connaissance que l'on a d'une chose.
1.1 Le rationalisme
Dans son "Discours de la méthode" (1637), R. Descartes affirmait que toute science théorique devrait être à l'image de la géométrie d'Euclide, basée sur des principes fondamentaux tels que des axiomes en géométrie, découverts et validés à travers l'analyse systématique d'idées intuitives. Descartes pensait, par exemple, que la loi d'inertie aurait dû être vérifiée par la seule logique et le bon sens. Cette optique, selon laquelle la science peut être basée sur des principes révélés par la simple introspection, est appelée le rationalisme (du latin "rationalis" = "raisonnable").
1.2 L'empirisme
F. Bacon (1561-1626) savant, philosophe et homme d'état anglais, au contraire de Descartes, croyait que, à la place d'analyser les idées intuitives, les scientifiques devraient d'abord vider leur esprit de tout préjugé, et seulement ensuite faire des observations. Ils pourraient alors généraliser par raisonnement logique et ainsi découvrir les lois fondamentales régissant la nature. Cette méthodologie qui se fonde sur l'expérience et non sur le savoir théorique est l'empirisme (du grec "en" = "dans" et "peira" = "expérience").
1.3 La démarche scientifique contemporaine
Bacon et Descartes ont essayé de fournir une méthode simple et infaillible d'étude scientifique, mais pour les chercheurs actuels, à la fois l'expérience et la logique jouent un rôle important en science. La raison et/ou l'imagination fournissent des hypothèses spéculatives; l'expérience élimine celles qui sont fausses.
Il importe de se rappeler qu'un modèle scientifique, contrairement à un dogme religieux, évolue: il est destiné à prévoir le résultat d'expériences qui vont le confirmer, le préciser ou le remettre en question.
Habituellement, même une hypothèse vérifiable ne peut être mise à l'épreuve directement. On doit d'abord en tirer une prédiction sur laquelle portera l'expérience. L'expérience doit être conçue pour produire des résultats aussi clairs que le permet l'ingéniosité humaine. A cette fin, elle doit inclure un traitement témoin (= le sujet "blanc") aussi bien qu'un traitement expérimental, les deux ne différant que par le facteur qui intéresse l'expérimentateur. N'oublions pas qu'une hypothèse ne peut jamais être formellement prouvée, mais qu'elle peut seulement être réfutée: en effet, une hypothèse correcte engendre des prédictions qui seront confirmées par l'expérimentation, mais une hypothèse erronée peut aussi amener des prédictions correctes, mais pour de mauvaises raisons. Par exemple, on a originellement prescrit une décoction d'écorce de saule pour soulager les fièvres en pensant que les saules ne survivaient dans les marais qu'au prix de la fabrication d'une substance contre la fièvre des marais. Et si l'expérience a été concluante et dès lors répétée, c'est en réalité parce que l'écorce de saule contient de l'acide acétylsalicylique, une substance antipyrétique qui agit chez l'Homme en augmentant de la circulation sanguine périphérique, ce qui promeut la sudation et donc le refroidissement.
Pratiquement, plus on réfute d'hypothèses, ou plus on en met en doute, plus on augmente la probabilité que l'hypothèse restante soit correcte. Un hypothèse appuyée par de nombreux indices différents, obtenus à la suite d'expériences répétées, est généralement considérée comme une théorie scientifique.
2 Le déterminisme scientifique
2.1 Le positivisme
Au XIXè siècle, la critique et l'histoire sont de plus en plus considérées comme des sciences dont les auteurs tentent de déterminer les lois qui les gouvernent. Le positivisme d'A. Comte (1798-1857) s'établit sur des connaissances scientifiquement démontrées. Cet auteur crée en 1830 une nouvelle science humaine qui a pour objet l'étude des phénomènes sociaux: la sociologie.
2.2 Le scientisme
2.2.1 E. RENAN, le fondateur
Dans la seconde moitié du XIXè siècle, le scientisme apparaît comme une attitude intellectuelle tentant de trouver dans la science la solution des problèmes philosophiques. C'est de la foi que relève la confiance en une science qui va élucider les mystères du monde et rendre la religion inutile. E. Renan (1823-1892), philosophe, historien, poète et critique français, est la figure de proue de ce mouvement: il publia une "Vie de Jésus" historique et rationnelle, et perdit la foi chrétienne.
2.2.2 M. BERTHELOT et la raison des réactions chimiques
Parmi les amis qui ont influencé Renan, M. Berthelot fut un chimiste qui, pour prévoir le sens spontané d'une réaction chimique, émit le principe "du travail maximal" ou principe de Berthelot selon lequel un système doit évoluer dans le sens qui mène au plus grand dégagement de chaleur. Cela revient à dire que toute réaction chimique s'accomplissant sans apport d'énergie évolue vers le système de corps qui dégage le plus de chaleur.
Les réactions spontanées ou amorcées devraient être exothermiques et les réactions imposées devraient être endothermiques. Si cela se révèle vrai dans certains cas, on ne peut pas généraliser. En effet, les équilibres chimiques ne pourraient pas exister puisqu'ils résultent de deux réactions inverses, dont l'une est exothermique et l'autre endothermique (cette dernière ne pouvant avoir lieu selon Berthelot).
Actuellement, nous savons bien que ce sont les énergies de liaisons, et non, comme dans le principe de Berthelot, les chaleurs de formation, qui interviennent pour déterminer la stabilité des composés. Mais, tout en étant théoriquement faux, le principe de Berthelot permet souvent, mais non sûrement, la prévision des réactions à température ordinaire. A haute température, elle n'est plus du tout valable.
Mais même un "principe de Berthelot corrigé" tenant compte des énergies de liaison et non des chaleurs de formation, bien que plus précis, ne permet pas de déduire rigoureusement la stabilité d'une molécule : en effet, sa géométrie peut la renforcer ou, au contraire, la fragiliser.
2.2.3 C. DARWIN et l'évolution du monde
La théorie de l'évolution stipule que les organismes actuels sont les descendants de formes de vie plus anciennes qui se sont modifiées. La plupart des biologistes croient, par exemple, que les êtres humains ont évolué à partir d'animaux actuellement disparus et ressemblants aux grands singes anthropoïdes.
Ayant travaillé et réfléchi indépendamment, Darwin (1809-1882) et Wallace (1823-1913) proposèrent ensemble, en 1858, la sélection naturelle comme mécanisme permettant l'évolution. Darwin prétendait qu' "une sorte de frein empêche constamment la multiplication trop rapide de tout être organisé laissé à l'état naturel. En moyenne, la nourriture disponible reste constante ; pourtant tout animal a tendance à se multiplier selon une progression géométrique". Cette force, qu'il nomma "sélection naturelle", freine continuellement les explosions démographiques potentielles des organismes. Darwin rendit célèbre l'expression de Malthus : "la lutte pour l'existence ", qu'ils considéraient tous deux comme le résultat inévitable du déséquilibre entre la rapide croissance exponentielle d'une population et une quantité limitée de nourriture disponible.
Ainsi, favorisés par la sélection naturelle, les organismes les mieux adaptés à leur environnement produiraient davantage de descendants , et la lignée issue de ces êtres "mieux adaptés" s'imposerait statistiquement avec le temps au sein de la population.
A cette époque, la croyance que les caractères des parents se mélangeaient chez leur progéniture constituait une objection à la théorie de la sélection naturelle : si tel était le cas, la variabilité héréditaire d'une population diminuerait à chaque génération, jusqu'à ce que tous les individus de la population soient semblables, et la sélection naturelle aurait très peu de matière sur laquelle s'exercer. Ce ne fut qu'à la publication des travaux de Mendel, révélant que les gènes sont hérités indépendamment les uns des autres et ne se mélangent pas chez la progéniture, que cette objection fut levée. Nous connaissons, à l'heure actuelle, la principale source naturelle de génération de la variabilité génétique: il s'agit de la recombinaison des gènes entre deux chromatides homologues en métaphase de la division réductionnelle au cours de la méiose. Ce seul fait scientifique justifie logiquement l'avantage de la sexualité sans laquelle tous les descendants d'un organisme seraient identiques entre eux et constitueraient un clone sur lequel aucune pression de sélection n'existerait.
2.2.4 J. MONOD et la destinée aléatoire du monde
Les biologistes développent des hypothèses, inventent des expériences et modifient leurs idées à la lumière des résultats de l'observation et de l'expérience, mais ces activités relèvent d'un cadre plus large. Tout un chacun, qu'il soit scientifique ou non, fonctionne selon une vision générale du monde appelée paradigme.
Dans la seconde moitié du XIXè siècle, la biologie a connu un changement majeur de paradigme, lorsque la théorie de l'évolution par sélection naturelle de Darwin fut largement acceptée. Dans la conception pré-darwinienne, le monde était récent et les organismes créés dans leurs formes actuelles. Dans la conception darwinienne, le monde est ancien, la terre et ses habitants ayant évolué à partir de formes très différentes de celles que l'on connaît actuellement. Ce nouveau paradigme implique non seulement d'accepter le processus évolutif, mais aussi le fait que le monde vivant évolue constamment et sans objectif!
In 1970, le biochimiste français J. Monod (1910-1976) écrivit "Le hasard et la nécessité", une uvre philosophique dans laquelle il concluait que les humains sont les produits du hasard, un accident dans l'univers...