Génétique et sexualité
1 Avantage de la sexualité
Les phénomènes de reproduction et de sexualité ne sont pas systématiquement liés. La reproduction (seule présente dans les actes de reproduction asexuée) a pour seul objectif de multiplier les individus et de perpétuer l'espèce.
La sexualité est souvent associée à l'acte de reproduction (on parle alors de reproduction sexuée), mais elle a parfois lieu indépendamment, comme chez certains protozoaires et protophytes. Il s'agit dans ce cas d'un contact (= la conjugaison) entre deux individus de types sexuels différents, au cours duquel les deux organismes s'échangent des copies de leur génome. Cet acte sexuel est une source de diversification du patrimoine héréditaire de l'individu, conférant à l'espèce une plus grande chance d'adaptation lors des modifications éventuelles des conditions du milieu de vie.
Chez les organismes supérieurs, la diversification du patrimoine génétique de l'espèce est assurée par l'union de deux gamètes, dont chacun porte un génome original à l'issue de la recombinaison génétique de la méiose précédant la formation des gamètes (conséquence du crossing-over).
2 Mâle, femelle, et les autres sexes...
Nous sommes habitués à penser à la sexualité en termes de "mâle" et "femelle" (ou de "+" et de "-" chez les champignons hétérothalliques), nous référant à notre espèce et à celles que nous rencontrons habituellement. Mais cette dualité sexuelle n'est pas unique. On connaît chez une variété de l'espèce de protozoaire cilié Paramecium bursaria pas moins de 8 types sexuels ("mating types") tous identiques morphologiquement ; un individu d'un type donné ne se croise pas avec un individu du même type que lui, mais échange du matériel génétique avec un individu de n'importe lequel des sept autres types sexuels.
3 Détermination du sexe et hérédité
La plupart des mécanismes de détermination du sexe sont sous contrôle génétique.
3.1 Mâles hétérogamétiques
Dans l'espèce humaine, les femmes portent dans le noyau de chacune de leurs cellules 23 paires de chromosomes homologues, soit un jeu de 23 chromosomes provenant de leur mère et un autre jeu provenant de leur père. Par contre, les hommes possèdent 22 paires de chromosomes semblables (semblables quant aux caractères portés, même si les allèles y sont différents) et 1 paire de chromosomes différents, l'un présentant la forme d'un "X" (à l'état dupliqué), et l'autre celle d'un "Y". Cette 23è paire de chromosomes est faite de deux "X" chez la femme .
"X" et "Y" sont les chromosomes sexuels, encore appelés gonosomes (du grec "gonos" = "semence"), allosomes (du grec "allos" = "autre") ou hétéro(chromo)somes (du grec "heteros" = "autre"), par opposition aux 44 autosomes (du grec "autos" = "soi-même").
Chez l'homme et les autres mammifères, la présence d'un chromosome "Y" détermine la masculinité, son absence la féminité.
Même si les gonosomes X et Y sont de taille différente, le fait qu'ils s'apparient durant la méiose pour former une tétrade indiquent qu'ils contiennent au moins une portion homologue. Les caractères déterminés par des allèles portés par cette portion homologue sont indirectement liés au sexe et ils se comportent comme les caractères autosomiques.
Par contre, les caractères portés par les portions non homologues sont directement liés au sexe et leur génétique est particulière. Etant donné que le chromosome X est nettement plus grand que le chromosome Y, les caractères liés au sexe sont presque toujours portés par le gonosome X. Chez l'homme, le daltonisme (confusion de certaines couleurs) et l'hémophilie (coagulation du sang anormalement longue) sont déterminés par des allèles récessifs portés par la portion du chromosome X non homologue au chromosome Y, mais l'hypertrichose des oreilles est déterminée par un allèle porté par la petite portion du chromosome Y non homologue au chromosome X. Ce dernier caractère ne s'exprime que chez les mâles et est toujours transmis de père en fils: on parle d'un caractère holandrique.
Un individu possédant une vision normale reconnaît, dans les deux figures, les chiffres 6 et 12. Dans le cas d'une cécité à la couleur, le daltonien au rouge-vert ne percevra pas le 6 alors que celui qui ne peut distinguer le bleu du jaune sera incapable de voir le 12.
La famille de la reine Victoria d'Angleterre comptait parmi ses représentants mâles un certain nombre d'hémophiles. La reine Victoria était porteuse du gène de l'hémophilie, et, à travers divers mariages, ce gène de l'hémophilie se répandit dans les familles royales d'Europe, où il affecta les hommes, car il est porté par le chromosome X.
Arbre généalogique simplifié des familles princières d'Europe marquées par l'hémophilie, exemple d'hérédité liée au sexe. Comme la reine Victoria était porteuse de ce gène récessif porté par le chromosome X, chacun de ses fils pouvait être hémophile dans 50% des cas et chacune de ses filles pouvait être porteuse dans 50% des cas. Cet arbre ne tient compte que des individus affectés par la maladie.
Considérant les génotypes sexuels mâle "XY" et femelle "XX" des mammifères, on comprend aisément qu'il existe deux types différents de spermatozoïdes émis en proportions égales et portant soit "X", soit "Y" (on parle de mâles hétérogamétiques), et un seul type d'ovule, portant systématiquement "X" (on parle de femelles homogamétiques). Il s'ensuit que c'est le spermatozoïde qui détermine, par la nature de son gonosome, le sexe de l'enfant.
Si un caractère est porté par la portion du chromosome "X" non homologue du chromosome "Y", l'application des lois de Mendel explique quelques curieuses observations. On sait par exemple que, chez les chats domestiques, les mâles peuvent être noirs ou jaunes et les femelles noires, jaunes ou au pelage mosaïque jaune et noir. Si l'on appelle l'allèle jaune "J" et l'allèle noir "N", et si l'on considère que le caractère est porté par X, les chattes peuvent avoir pour génotype XJXJ, XJXN ou XNXN, tandis que les chats ne peuvent être que XJY ou XNY.
Chat domestique Felis catus, Felidae "écaille de tortue" (Watermael-Boitsfort, Brabant, Belgique - 08/07/2002 - Diapositive originale réalisée par Eric Walravens). L'expression simultanée des couleurs jaune (production d'eumélanine inhibée) et noire (production normale d'eumélanine), dont les allèles sont portés par le chromosome sexuel X, indique la présence de deux chromosomes X, donc le sexe femelle de l'animal.
Chez certaines punaises et sauterelles, les mâles sont bien hétérogamétiques, mais il n'existe pas de chromosome Y: les spermatozoïdes possèdent soit X, soit aucun gonosome. Le génotype sexuel des mâles est X- (ou XO) et celui de la femelle XX.
Leptophyes punctatissima mâle et femelle, Tettigoniidae, Orthoptères (Hamois, Condroz, Province de Namur, Belgique - 26/08/1995 - Diapositive originale réalisée par Eric Walravens). Il s'agit d'une espèce de sauterelle commune en Belgique, mais discrète, qui fréquente volontiers les haies de framboisiers.
3.2 Femelles hétérogamétiques
Chez les papillons (dont le ver à soie et les mites), les phryganes et certains oiseaux et poissons, ce sont les femelles qui sont hétérogamétiques et portent un chromosome similaire au gonosome Y des mammifères. On désigne habituellement le génotype des mâles par ZZ et celui des femelle par ZW.
Imago de phrygane, Trichoptère, Insecte (Hamois, Condroz, Province de Namur, Belgique - 30/09/1989 - Diapositive originale réalisée par Eric Walravens).
Chez le poulet domestique, les femelles ne portent qu'un gonosome Z, l'autre étant inexistant, et les mâles sont ZZ. On symbolise parfois le génotype femelle par ZO au lieu de Z-.
Le cas du coucou gris Cuculus canorus, oiseau parasite pondant ses ufs dans le nid d'autres oiseaux, est intéressant. Le coucou peut pondre dans le nid de plusieurs espèces de passériformes des marais (rousserolle effarvatte, phragmite des joncs), des friches (rousserolle verderolle), des prés et des champs (pipit farlouse, bergeronnettes grise et printanière) ou des bois (accenteur mouchet, troglodyte et rougegorge). Mais on constate que la couleur de l'uf pondu correspond toujours à celle des ufs de l'oiseau parasité. Cette couleur est fixée génétiquement, et le caractère, porté chez le coucou par le chromosome W, se transmet directement de mère en fille. Si, au cours de l'évolution, différentes espèces de coucous n'ont pas émergé (chacune parasitant une espèce déterminée de passériforme), c'est que les mâles de coucou s'accouplent indifféremment avec n'importe quelle femelle. Quant au choix, par les femelles, de l'espèce parasitée, il s'agit d'un phénomène d'imprégnation.
Coucou gris Cuculus canorus, Cuculidae, Cuculiforme, Oiseau (Lorraine française - Diapositive originale réalisée par Michèle Walravens-Loneux).
3.3 Balance génétique
Chez la drosophile, ou mouche du vinaigre, le mâle est hétérogamétique et présente donc un génotype de type XY. Mais le gonosome Y, bien que essentiel pour la fertilité du mâle, ne détermine pas la masculinité. En réalité, les facteurs mâles se trouvent sur tous les autosomes et, ensemble, ont une certaine importance face aux facteurs femelles localisés sur le gonosome X. Si chaque jeu d'autosomes "A" apporte une masculinisation de valeur 1 et chaque gonosome X apporte une féminisation de valeur 1,5, toute drosophile de génotype AAXY sera mâle (masculinisation = 2 x 1 et féminisation = 1,5) et toute drosophile de génotype AAXX sera femelle (masculinisation = 2 x 1 et féminisation = 2 x 1,5). Des aberrations du nombre de chromosomes ont confirmé cette hypothèse: par exemple, une drosophile AAAXX présente un phénotype intersexué.
3.4 Haplodiploïdie
Chez les hyménoptères (guêpes, abeilles et fourmis), il n'existe aucun chromosome sexuel, et c'est la reine qui détermine le sexe en fécondant ou non les oeufs pondus: les oeufs fécondés 2n donnent des femelles, et les mâles se développent par parthénogenèse arrhénotoque.
Essaimage d'imagos de Lasius (Cautolasius) flavus, Formicidae, Hyménoptères (Hamois, Condroz, Province de Namur, Belgique - 17/09/1995 - Diapositive originale réalisée par Eric Walravens).
La fertilité des femelles est conditionnée chez l'abeille domestique par la qualité et la quantité de nourriture donnée aux larves: les larves nourries au miel et au pollen, ne recevant de gelée royale que durant les trois premiers jours de leur existence, donnent des ouvrières stériles dont les ovaires sont atrophiés à la nymphose, tandis que les larves nourries de gelée royale jusqu'à la nymphose donnent des reines fertiles.
3.5 Déterminisme non génétique du sexe
Chez certains animaux, le sexe est déterminé par des facteurs du milieu. Par exemple, chez l'alligator nord-américain (= caïman en Amérique du Sud) ou le crocodile africain, c'est la température d'incubation des ufs, c'est-à-dire celle qui règne au cours d'une étape précise du développement, qui joue ce rôle: entre 28°C et 30°C, on obtient de femelles, entre 30°C et 32°C, on obtient autant de mâles que de femelles et entre 32°C et 34°C, on n'obtient que des mâles. Chez les crocodiles, les ufs sont enfouis dans le sable, de sorte que les ufs les plus profondément enfoncés donnent des femelles et les ufs les plus réchauffés par la chaleur du soleil des mâles. Chez les alligators, les ufs sont pondus dans des masses de débris végétaux qui chauffent en entrant en putréfaction: les plus profondément enfouis, là où la température est la plus élevée, produisent des mâles.
Alligator du Mississipi Alligator mississipiensis, Alligatoridae, Crocodilien, Reptile, Vertébré, Chordé (Serpentarium de Blankenberge, Belgique - 02/08/2000 - Diapositive originale réalisée par Eric Walravens).
Cette découverte conduisit à des spéculations concernant l'extinction mystérieuse des dinosaures et d'autres groupes de reptiles: un changement prolongé de climat aurait conduit à la production d'une progéniture unisexuée.
3.6 Changement de sexe
Il peut arriver qu'une poule Z- (ou ZO), après avoir pondu, acquièrt les caractéristiques sexuelles secondaires d'un coq (plumage, présence d'ergots, chant) et même des caractères primaires (développement des testicules avec production de spermatozoïdes). Ceci se passe lorsque les ovaires sont détruits par une maladie et que le tissu testiculaire rudimentaire présent au centre de l'ovaire se développent en absence d'hormones sexuelles féminines.
Chez certains poissons, les labridés (labres), les serranidés (mérous et serrans) et les sparidés (dentés et dorades), la détermination du sexe est souple. Des individus, s'étant comportés comme femelles reproductives, acquièrent, après un certain nombre d'années, les caractéristiques d'un mâle et se comportent comme tel, suivant une évolution endocrine programmée génétiquement. Pour d'autre, le changement de sexe est plus circonstanciel: chez des labres vivant en petits bancs constitués d'un mâle et d'un harem de femelles, la disparition du mâle induit le changement de sexe de la femelle dominante.
Mérou Epinephelus species, Serranidae, Ostéichthyen, Vertébré, Chordé (Aquarium Nausicaa, France - 03/08/1998 - Image originale Eric Walravens).
Serran écriture Serranus scriba, Serranidae, Ostéichthyen, Vertébré, Chordé (Aquarium Nausicaa, France - 03/08/1998 - Image originale Eric Walravens).
Coris reine femelle Coris frerei, Labridae, Ostéichthyen, Vertébré, Chordé (Aquarium Nausicaa, France - 03/08/1998 - Image originale Eric Walravens).
4 Caractères influencés par le sexe
Il ne faut pas confondre l'hérédité liée au sexe et l'hérédité influencée par le sexe, c'est-à-dire la dominance ou la récessivité d'un allèle autosomique déterminée par le sexe. Ainsi, chez certaines races de bovins et d'ovins, l'allèle déterminant la formation des cornes est dominant chez le taureau et récessif chez la vache. Dans l'espèce humaine, l'allèle de la calvitie précoce est dominant chez l'homme et récessif chez la femme.
Certains allèles ne s'expriment jamais chez un sexe. Les taureaux, par exemple, possèdent, comme les vaches, plusieurs caractères influençant la production de lait. Ils transmettent les allèles de ces caractères à leur descendance bien que l'expression de ces allèles soit limitée au sexe femelle.
Vache à cornes Bos taurus, Bovidae, Mammifère, Vertébré, Chordé (Pyrénées, France - 08/08/1979 - Image originale Eric Walravens). |
Vache aux cornes coupées Bos taurus, Bovidae, Mammifère, Vertébré, Chordé (La Molière, Vercors, France - 06/07/1990 - Image originale Eric Walravens). |